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Constance Greene avait suivi avec attention l’annonce faite par le nouveau capitaine, soulagee d’apprendre que le navire faisait route pour Saint John’s. Les mesures de securite draconiennes qui avaient ete prises ne pouvaient que la rassurer. Il en allait de la survie des passagers alors que la traversee, entamee sous les meilleurs auspices, tournait au cauchemar Elle s’etait meme demande si ce n’etait pas un juste retour du destin que tous ces privilegies se retrouvent pour une fois confrontes aux veritables realites du monde.

Un coup d’oeil a sa montre lui indiqua qu’il etait 13 h 45. Pendergast avait annonce son intention de faire la sieste jusqu’a 15 heures et il n’etait pas dans son intention de l’interrompre. Un peu de repos lui ferait le plus grand bien, ne serait-ce que pour le rendre de meilleure humeur. Jamais elle ne l’avait vu dormir l’apres-midi, encore moins boire de l’alcool en pleine matinee.

Elle s’installa confortablement sur le canape et decida de se plonger dans la lecture des Essais de Montaigne afin de se changer les idees. Elle entamait tout juste sa lecture lorsqu’on frappa doucement a la porte.

— C’est Marya. Ouvrez-moi, s’il vous plait.

Constance gagna la porte et la femme de chambre se glissa dans la suite. Son uniforme, habituellement immacule, etait tache et elle avait les cheveux en bataille.

— Que se passe-t-il, Marya ? Asseyez-vous, je vous en prie.

La femme de chambre lui obeit machinalement en se passant la main sur le front.

— C’etre NHCaHe[4] sur ce bateau.

— Je vous demande pardon ?

— Comment vous dire ca ? C’etre comme dans un asile de fous. Ecoutez, je vous apporter des nouvelles. Tres mauvaises nouvelles que se repandre dans les ponts du personnel comme une trainee de poudre. Je prier que c’etre pas vrai.

— De quoi s’agit-il ?

— Le nouveau capitaine, le capitaine Mason, il paraitre qu’elle s’etre enfermee sur la passerelle et qu’elle entrainer le bateau sur des recifs.

— Quoi ? ! !

— De gros recifs. Les Carrion Rocks. Les gens dire que le bateau s’eventrer sur ces rochers dans moins de trois heures.

— Allons, allons ! Sans doute s’agit-il d’une rumeur de plus.

— Peut-etre, acquiesca Marya, mais tout l’equipage croire que c’etre vrai. Quelque chose de grave se passer sur le pont auxiliaire parce que tous les officiers du bateau faire des allees et venues sans arret. Mais c’etre pas tout. Quel mot vous dire pour ca, deja ? Ah oui, un fantome ! Les gens avoir vu un fantome. Plusieurs passagers, cette fois, et aussi le directeur de croisiere.

Constance ne reagit pas tout de suite. Le navire, secoue par une vague plus forte que les autres, fit une embardee.

— Attendez-moi un instant, fit-elle a l’adresse de Marya.

Elle monta a la chambre de Pendergast et frappa a sa porte. En vain. C’etait d’autant plus etrange qu’il repondait toujours instantanement d’une voix claire lorsqu’on le reveillait, donnant l’impression d’etre leve depuis des heures.

Constance insista.

— Aloysius ?

— Je vous avais demande de me reveiller a 15 heures, repondit une voix grave de l’autre cote de la porte.

— Il fallait que je vous voie, nous avons une urgence.

Un silence lui repondit.

— Je ne vois rien qui ne puisse attendre, declara-t-il enfin.

— Je vous assure, Aloysius, c’est urgent.

Nouveau silence.

— Tres bien. Je descends d’ici peu.

Constance retourna dans le salon. Peu apres apparaissait un Pendergast en pantalon noir. Sa chemise blanche empesee etait ouverte sur sa poitrine, il portait sa veste et sa cravate sur le bras. Il jeta la veste sur une chaise d’un geste nonchalant en regardant autour de lui.

— Ou sont mes oeufs Benedicte et mon the ? demanda-t-il.

Constance ouvrit des yeux etonnes.

— Le service en chambre ne fonctionne plus. Les repas sont exclusivement servis dans les restaurants du bord.

— Je ne doute pas que votre amie Marya parvienne a me faire monter un petit quelque chose des cuisines pendant que je me rase.

— Ce n’est pas vraiment le moment de manger, laissa tomber Constance avec une pointe d’irritation.

Sans s’emouvoir, Pendergast gagna la salle de bains dont il laissa la porte ouverte. Il retira sa chemise qu’il jeta negligemment sur la barre de douche, decouvrant un corps blanc et muscle, puis il fit couler l’eau, se couvrit le visage de savon et sortit un rasoir a l’ancienne dont il passa la lame sur une laniere en cuir. Constance s’appretait a fermer la porte lorsqu’il l’arreta d’un geste.

— Pas si vite. Je serais curieux de savoir ce qu’il y avait de si urgent que l’on interrompe ma sieste.

— Marya nous apporte des nouvelles inquietantes au sujet du capitaine Mason, cette jeune femme qui a pris le commandement du bateau en milieu de journee. Il parait qu’elle s’est enfermee sur la passerelle et qu’elle a decide de lancer le navire sur des recifs.

La lame du rasoir s’immobilisa sur la joue blanche de Pendergast. Trente secondes s’ecoulerent avant qu’il ne reprenne son rasage.

— Pour quelle raison Mme Mason agit-elle ainsi ?

— Personne ne sait. Il semble qu’elle ait perdu la tete.

— Perdu la tete, vous dites ? repeta Pendergast, l’air songeur, tout en continuant a se raser avec une meticulosite irritante.

— Ce n’est pas tout, reprit Constance. Ce pretendu fantome de fumee a fait une nouvelle apparition. Plusieurs personnes l’ont apercu, y compris le directeur de croisiere. Comme si…

Elle n’alla pas plus loin, n’osant formuler l’idee qui commencait a germer dans sa tete. Sans doute etait-ce le fruit de son imagination.

Pendergast poursuivit son rasage sans un mot. Les rafales de vent sur les baies vitrees, parfois un bruit de voix dans le couloir troublaient seuls le silence. Sa tache achevee, Pendergast rinca le rasoir, l’essuya et le replia, puis il se passa une serviette sur le visage, enfila sa chemise, la boutonna, ferma ses boutons de manchettes en or, mit sa cravate, la noua en quelques gestes precis et rejoignit enfin les deux femmes qui l’attendaient dans le salon en rongeant leur frein.

— Ou allez-vous ? lui demanda Constance, entre inquietude et exasperation. Vous n’avez pas l’air de vous rendre compte de ce qui est en train de se passer.

Il ramassa sa veste.

— Ne me dites pas que vous n’avez pas compris.

— Compris quoi ? s’emporta Constance. Parce que vous avez compris, vous, peut-etre ?

— Bien evidemment, dit-il en enfilant un manteau et en se dirigeant vers la porte.

— J’attends vos explications.

Pendergast s’arreta sur le seuil.

— Tout est lie, ainsi que je le pensais. Le vol de l’Agozyen, le meurtre de Jordan Ambrose, les disparitions et les meurtres qui ont eu lieu a bord, et a present cette femme capitaine devenue folle au point de vouloir lancer le Britannia sur des recifs.

Il ponctua sa phrase d’un petit rire.

— Sans meme parler de votre << fantome de fumee >>.

— Si tout est lie, expliquez-moi de quelle facon, retorqua Constance, au comble de l’agacement.

— Vous disposez des memes elements que moi et je trouve tellement ennuyeux de devoir m’expliquer en permanence. En outre, tout cela n’a plus aucune importance, dit-il en embrassant la piece d’un geste vague. Si ce que vous dites est vrai, tout ce qui nous entoure reposera bientot au fond de l’Atlantique et j’avoue avoir des choses plus importantes a faire a l’heure qu’il est. Je serai de retour dans une heure. D’ici la, peut-etre aurez-vous trouve le moyen de me faire monter des oeufs Benedicte et un peu de the vert ?

Sur ces mots, Pendergast quitta la piece et Constance resta longtemps a fixer la porte de la suite. Enfin, elle se tourna vers Marya et la regarda en silence.

— Oui ? s’enquit la femme de chambre.

— J’ai un service a vous demander. J’aurais besoin que vous fassiez venir ici un docteur le plus rapidement possible.

Marya l’observa avec des yeux inquiets.

— Vous etre malade ?

— Non. Mais j’ai bien peur que lui le soit.